Bouffardes de la renommée

 A Totoche
(sur l'air des Trompettes)

Je fumais à l'écart de la place publique,
Serein, contemplatif, ténébreux, bucolique...
Avec mon brûle-gueule, en bois brut et sans gloire,
Aux côtes mal taillées, au fourneau un peu noir.
Des pipiers de haut-vol ont su me fair' comprendre
Que d’vant la Confrérie j'avais des compt's à rendre,
Que sous pein’ de passer pour un rustre fieffé
Je devais arborer des pip’ plus distinguées !

Bouffardes de la renommée,
Vous êtes bien mal embouchées !

Fi de la loyauté la plus élémentaire,
Devrais-je abandonner ma vieille pipe en terre ?
Qui pourtant m’a donné tant de satisfaction,
Et dont l’âcre fumée fit ma délectation?
J’ai vu des pip’s en or, en écume, en hysope,
En noyer du Japon, qu’avaient un goût de clope,
Des bruyères choisies, mais rongées par le vers,
Pipes dont la fumée laissait un goût pervers !

Bouffardes de la renommée,
Vous êtes bien mal embouchées !

Aux luxueux attraits, ma bouffarde est rétive.
Elle n’a pas trempé dans un bain d’huil’ d’olive,
Elle n’est pas marquée du célèbre point blanc,
Elle est sans fioriture, et sans bague en argent !
Sa tige est toute droite et son fourneau austère,
Bien loin des fantaisies de l’illustre JR !
Elle n’est point cirée au lait de carnauba
Elle n’a pour parfum que celui du tabac !

Bouffardes de la renommée,
Vous êtes bien mal embouchées !

Elle n’a pour pétun que du gris ordinaire,
Elle n’a que mépris pour les mixtures chères
Qui sentent la vanille et les parfums de fleurs
Le miel et la cerise, et mille autres saveurs !
Du fond de son foyer jaillissent des volutes,
De fumée blanche et drue, forte, épaisse et abrupte,
Qui durcissent la lippe et forgent le palais,
Lui imprimant un goût que l’on oublie jamais !

Bouffardes de la renommée,
Vous êtes bien mal embouchées !

Aux vicomtes, aux ducs, aux marquis, aux marquises
Je laisse volontiers, leurs liseuses exquises
Qu’ils fument en prenant des poses distinguées,
Qu’ils sucent en faisant de grands ronds de fumée !
Pour ma part je m’en tiens à ma vieille Totoche,
Qui certes n’est pas belle, et pourtant n’est pas moche.
Refusant d'acquitter la rançon de la gloire,
Sur mon pot de perlot, je m'endors comme un loir !

Bouffardes de la renommée,
Vous êtes bien mal embouchées !

Un bien bel hommage, plus loin que la fameuse (et non moins fumeuse) Totoche, à toutes ces pipes sobres et simples, qui apportent sans grandiloquence, le bonheur à leurs possesseurs. 

Merci et bravo pour cette revisite Jaufré 

   Jaufré

Sacré Totoche, elle en fait couler de l'encre la fameuse pipe de William et parfois avec beaucoup de talent comme tu viens de le faire
Bravo et merci

Je viens d'aller sur ton site. elle n'y est pas encore.
Celle-là, je veux l'enregistrer pour la passer à Totoche.
Je l'entend d'ici me dire:
"Il a du talent ce garçon.
Il sait comprendre les pipes... lui
C'est pas comme d'autres qui ne les regardent même pas.
Tu le connais ce poète? 
Dis-lui bien que c'est très chouette ce qu'il a écrit.
Il n'est pas manchot de la plume.
Ce n'est pas parce qu'il parle de moi, non, je ne me crois pas si importante pour qu'un talent comme lui  me considère. 
C'est juste que les mots sonnent juste. Et ils me font penser à quelqu'un que tu as connu.
Il fumait la pipe. Et en plus il chantait lui aussi.
Tu lui diras, hein, que c'est très beau?"

Jaufré, je la connais ma Totoche et je suis sûr que c'est ce qu'elle dira quand je lui ferai écouter ta chanson
Merci déjà pour les paroles.
Elles sont si... vrai.
A quand sur le site?

Ah Jaufré! Magnifique hommage à "Totoche" de William, et à toutes ces bouffardes pleines de vie, d'histoire, de vérité, d'autenticité... Tiens, tu m'as donné envie de baptiser celle-ci Hélène. De quoi à t'inspirer une autre adaptation comme tu sais si bien faire?