L'anecdote

Je découvre tardivement ce fil. J'irai moi aussi de ma petite anecdote.

On m’avait offert un brûle-gueule Butz Choquin à tige droite de 11cm (préculotté). Un dimanche soir, je décidai d’aller l’étrenner dans des anciens marais salans de Camargue. Je tombai sur une langue de terre à fleur d’eau, recouverte de salicornes, au bout de laquelle reposait une colonie de noirs cormorans. Ils étaient une centaine au moins, piaillant et caquetant à l’envi. Je me plaçai sous le vent, bourrai ma pipe avec du Kentucky Bird (nom de circonstance) et commençai à remonter la digue sans faire de bruit. Mon objectif était d’approcher ces volatiles d’aussi près que possible, pour les observer à l’oeil nu sans les effaroucher. Je tirais sur ma pipe à lentes bouffées. Une légère brise du Nord soufflait, dispersant les remugles dans mon dos. Je m’immobilisai à moins de dix mètres. Tapi dans les salicornes, pipe retournée vers le bas, j’étais inodore et invisible. Le caquètement cessa, comme si la troupe s’était mise en alerte. Puis au bout d’un moment, il reprit. Je restai là une bonne vingtaine de minutes, en parfaite communion avec la nature, avec pour seule compagnie ces cormorans – ignorants de ma présence – et ma pipe. Le soleil se couchait lentement sur la lagune. Ma Butz-Choquin tenait toutes ses promesses.

Puis soudain, elle s’éteignit.
Au même instant, dans un assourdissant bruissement d’ailes, la colonie de cormorans prit son envol.
Coïncidence? Je ne l’ai jamais su.

Depuis, en mémoire de ces oiseaux, je ne fume dans cette pipe que du Kentucky Bird.

Et bien cette découverte du fil nous est fort louable, car c'est vraiment une anecdote riche et originale 

Une bien belle anecdote en effet !

Superbe l'ami, j'aime bien ta façon d'écrire !

Jolie.
C'est pas du Hitchcock, mais pas loin.

Tiens, une anecdote qui remonte au temps où je ne fumais qu'une fois par an en moyenne. Je n'avais donc pour ainsi dire jamais ma pipe avec moi, ce qui m'a, comme vous allez voir, privé de bons moments comme ici.

J'ai pendant des années (plus de 10 ans), fait du paintball sportif (donc pas au fond des bois en treillis non, mais sur terrain de foot avec obstacle gonflable et tenues colorées) en compétition au niveau national.

Un jour, à la fin d'une compétition en région parisienne qui faisait venir des équipes de toute la France mais aussi de Belgique et d'Allemagne, au moment de la remise des prix, on se met, comme d'habitude, à tous papoter ensemble de la journée et de divers autres sujets, tout le monde se mélange, c'est convivial, quand là, j'apperçois un jeune d'une autre équipe sortir pipe et tabac, et l'allemand avec qui il bavardait faire de même

Et nous voilà tous les trois à parler pipe et tabac, eux tirant tranquillement des volutes gracieuses, moi non à mon grand désarrois, au milieu de cette foule colorée, sportive, jeune et moderne. On (ils surtout) contrastaient avec l'ensemble de nos compagnons de sport, mais c'était vraiment bon d'assumer le pétunage en un moment comme ça. Même si j'aurais aimé en faire plus partie aussi. Comme quoi la pipe est partout !

Bien avant que je ne fume la pipe, il y avait mon grand-père...

Vétéran de la Seconde Guerre mondiale, authentique Résistant, il avait croisé Guitry et bu un verre avec Gabin (une anecdote qu'il racontait tous les ans lors de sa cuite annuelle de Noël). C'était un homme immense de presque deux mètres avec des mains comme des pelles et des yeux noirs comme des morceaux de charbon.

Comme tous les anciens, il avait son fauteuil attitré et tout près, la pipe qu'il ne fumait qu'une fois après le souper. Il rangeait son tabac dans un pot de porcelaine, à côté d'une carafe d'armagnac. Là aussi, un seul verre après manger. Un soir, devenu malade, diminué et pourtant toujours fier, sa main tremblait pour remplir son fourneau. D'un regard, il me dissuada de l'aider et reprit sa besogne avant d'y parvenir enfin.

L'instant d'après, il tapotait ma joue en souriant.

J'ai toujours sa pipe, très abîmée, rangée dans un petit coffret avec d'autres souvenirs de lui.

Des hommes de cette trempe manquent à notre époque...

Très beau, Malkian.

J'ai eu moi aussi pour Grand-Père un géant.
Il m'a couvert de son ombre et de son amour, élu entre les autres qui le voyaient bien trop grand.

roark a écrit:Très beau, Malkian.

J'ai eu moi aussi pour Grand-Père un géant.
Il m'a couvert de son ombre et de son amour, élu entre les autres qui le voyaient bien trop grand.

Je ne sais plus de quel film, sur les mineurs de la grande époque, vient cette réplique : "Les hommes comme mon père ne meurent pas."

Hélas, si... mais avec des exemples pareils, on retrouve toujours son cap !